novembre 10, 2025
Grotte construite de Bandiagara

Les fondamentaux de l’architecture troglodytique

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Les historiens et théoriciens de l’art et de l’architecture s’accordent à octroyer à l’antiquité l’apparition des premières véritables formes d’architecture. Pourtant, depuis la préhistoire, plusieurs constructions primitives d’une grande richesse constructive et d’une extrême sophistication ont existé et subsistent toujours. Parmi celles-ci se situent en bonne place les constructions troglodytiques qui fascinent l’Homme contemporain autant qu’elles le questionnent. Je vous propose dans cet article de découvrir un peu plus cette architecture incroyable à travers divers points : l’imaginaire humain sur ce type d’architecture ; ses différentes typologies ; l’étude de cas de Lalibela; son intérêt.

1. Architectures creusées et perceptions

Dans le monde d’aujourd’hui en perpétuelle quête d’urbanisation, nous sommes très peu habitués à observer dans notre environnement des constructions creusées dans la terre. De plus, l’idée d’une construction creusée évoque en général quelque chose de démodé, de ténébreux, d’illégitime. Cet état de fait a bien été encouragé par de nombreux films et fictions. Dans son ouvrage, (Loubes, 1984) évoque quelques fictions ayant façonné l’imaginaire sur les constructions troglodytiques. Dans le roman « La machine à explorer le temps » par exemple, Herbert G. Wells dépeint un monde souterrain maudit (le monde des Merlocks) où des « non-possédants » travaillant laborieusement, vivent uniquement pour assurer la vie des « possédants » (du monde des Eloïs). En parallèle, d’autres rares auteurs vulgarisent tout de même une image positive du monde du sous-sol. Jules Verne, dans « Les Indes noires », tout en reconnaissant et en décrivant la pénibilité du monde souterrain, met en lumière l’apaisement et le plaisir éprouvé par les habitants de ses abîmes. C’est aussi le cas de Cyrano Bergerac dans sa chronique de science-fiction « voyage dans la lune » parue vers 1650. L’auteur y décrit entre autres un habitat mobile, capable de se dresser sur terre ou de s’enfoncer dans ses entrailles pour se protéger, en fonction des aléas du climat. Mais ces exemples ne sont que des cas très isolés, tellement les détracteurs romanciers et théoriciens des constructions souterraines sont nombreux. (Loubes, 1984) conclut très bien : « Il n’y a guère que dans les contes de mille et une nuits que Aladin, soulevant une dalle de pierre, suit un escalier qui s’enfonce dans les entrailles de la terre et débouche sur un jardin merveilleux ».

Le monde souterrain dans le roman "Les Indes noires"-Jules Verne

2. Typologies d'architecture et d'urbanisme troglodytique

(Loubes, 1984) distingue trois grands groupes d’architecture troglodytique : l’architecture de détournement de site et configurations naturelles, les architectures soustractives et les architectures de remblaiement. Des solutions mixtes et intermédiaires peuvent être composées à partir des trois groupes précédemment cités. Dans le premier groupe, on retrouve les cavernes naturelles, les abris sous roches, les maisons entre rochers et les maisons adossées. Le groupe des architectures soustractives comporte les typologies suivantes :

  • Creusement de formations situées au-dessus du sol : le rocher creusé est visible dans la quasi-totalité de sa hauteur. C’est le cas des cônes de Cappadoce en Turquie ;
  • Creusement des parois latérales : Ici, le creux se déploie dans une direction horizontale, attaquant le front d’une falaise. Les temples d’Abou Simbel en Egypte en sont une parfaite illustration ;
  • Creusement vertical dans le sol : On retrouve des formes de creusement vertical sur le site des églises de Lalibela en Ethiopie ;

Dans le dernier groupe des architectures de remblaiement, il n’y a pas de creusement, mais un apport de matériaux pour modifier le relief, comme dans le cas des pyramides de Gizeh ;

Il existe également un urbanisme troglodytique présentant diverses typologies : groupements linéaires, groupements en cirques, villages en surface, villages creusés, villages et groupements enterrés.

Typologies d'architecture troglodytique - Ulrich YALO
Typologie d'urbanisme troglodytique - Ulrich YALO
Typologie d'urbanisme troglodytique - Ulrich YALO

3. L’exemple des églises de Lalibela

Située dans les montagnes de la région de Lasta, en Ethiopie, Lalibela est considérée comme une ville sainte qui a été d’un accès difficile durant des centaines d’années. D’après la légende, le roi Lalibela (1185-1225) fit sculpter les églises après un rêve. De retour après une longue période d’exil, il reconquit le trône usurpé par son frère Harbay, devint roi de Lasta et entreprit ce grand chantier (Batistoni, 2011).

Les églises de Lalibela sont réparties en trois grands groupes : un premier au nord, un second à l’est, et un troisième à l’ouest ne comportant que Biet Giyorgis. Les principales caractéristiques de ces constructions sont les suivantes :

  • Construites suivant un plan basilical avec des influences byzantine et occidentale ;
  • Le tabernacle est situé dans l’abside est (du côté du levé comme symbole de la lumière) ;
  • L’entrée est à l’ouest (du côté du coucher du soleil comme symbole de l’obscurité) ;
  • La place des personnes participant aux cérémonies est généralement une tranchée excavée autour de l’église ;
  • Les piliers sont rectangulaires ou cruciformes, mais jamais circulaires ;
  • La nef centrale est en générale plus haute et voutée tandis que les autres sont plus basses et plates ;
  • Certaines de ces églises peuvent être partiellement hypogées, n’étant pas totalement séparées de la montagne à partir de laquelle elles ont été excavées

Pour construire ces églises, le block choisi était isolé du banc rocheux ; Sa masse intérieure était alors évidée pour créer les piliers et décors intérieurs pendant que l’extérieur était sculpté. Le rocher était relativement facile à sculpté, puisque c’était soit du tuf rouge, ou une sorte de grès gris (Batistoni, 2011). Des galeries et corridors interconnectent les différentes parties de chaque groupe du complexe de Lalibela. Dans certains cas, ces galeries forment des cryptes, stockages et tombes autour des églises. Des fosses et des bassins sont parfois creusées dans les tranchées.

4. Intérêt du troglodytisme

L’architecture troglodytique a été un abri protecteur de l’espèce humaine face au danger du monde extérieur (animaux sauvages, ennemis…) Par la masse du sol, et la profondeur des trous, l’être humain y trouvait également son confort face aux aléas climatiques. L’ambiance créée par la lumière pénétrant dans les orifices jouent également dans l’intérêt pour ce type de construction.  En effet, depuis la préhistoire, ces architectures ont non seulement été utilisées pour l’habitat, mais aussi pour servir aux fonctions et rites religieux et funéraires.

Ces intérêts qu’on pourrait considérer comme primaires sont toutefois d’actualité dans notre monde d’aujourd’hui. La recherche d’inertie dans le bâtiment et d’une architecture passive pousse plusieurs concepteurs à enfouir leurs constructions, ce qui permet entre autres une bonne intégration paysagère. La lumière est traitée de diverses manières. Elle peut être rare et devient alors précieuse ; ou elle peut pénétrer à profusion de sorte à créer un cadre chaleureux. Aujourd’hui les matériaux et techniques déployées permettent de créer des intérieurs qui font oublier aux occupants d’un espace troglodytique qu’ils se trouvent dans un lieu creusé. Mais cela n’a pas toujours été le cas dans l’histoire, le dilemme étant de choisir entre accepter/afficher et gommer/faire oublier le troglodytisme. « Accepter que l’espace creusé affirme son caractère troglodytique, ou au contraire, le charger d’éléments architecturaux qui vont tendre à atténuer ce caractère, pour le ramener à l’expression du ‘’construit’’, tels sont les deux termes entre lesquels oscille la problématique de l’architecture troglodytique traditionnelle.

En résumé, le troglodytisme est souvent perçu dans un sens négatif. Pourtant ce mode de vie et de construction a permis à l’humain de survivre dans des environnements parfois très hostiles. Il usa de son intelligence pour concevoir partout sur la planète différentes typologies d’architecture troglodytique. Les églises creusées de Lalibela sont un bel exemple qui allie ingéniosité, parcours et ambiance à la solennité à laquelle aspire ce lieu. L’architecture contemporaine cherche aujourd’hui à tirer le meilleur parti de cet héritage passé notamment en termes de confort, d’ambiance et d’enjeux environnementaux.

Références

Batistoni, M. (2011). A guide to Lalibela (3rd ed). Arada Books, 183 pages

Loubes, J.-P. (1984). Archi troglo (1re éd). Parenthèses ; 124 pages

Images

Grotte construite de Bandiagara (Mali)- foto_morgana, flickr

Constructions creusées en Cappadoce (Turquie) –  Erich Westendarp, pixabay

Habitation creusée à Matmata (Tunisie) – Sergio Zeiger, flick

Grand temple d’Abou Simbel (Egypte) – Amre, flickr

Intérieur d’une grotte de Jonas en Auvergne (France) – Luicabe, flickr

Le monde souterrain dans le roman « Les  Indes noires »-Jules Verne

Typologies d’architecture  troglodytique – Ulrich YALO

Typologie d’urbanisme troglodytique – Ulrich YALO

Biet Giyorgis – Heiss, pixabay

Passage vers Biet Gabriel et Raphael – Joe Brnobic, flickr

Biet Maskal creusé en forme de galerie dans la roche – Linda Polik, flickr

Casa Uno de CLACLÁ Taller de Arquitectura – Axel de la Torre, archdaily

Domic House de Noel Robinson Architects – Scott Burrows Photographer, archdaily


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