Parmi tous nos sens, la vue est sans doute le premier qui nous relie au monde qui nous entoure. Elle est opérationnelle grâce à la lumière que nous percevons. Celle-ci traverse la pupille, s’imprime dans le fond de l’œil sur la rétine, avant d’être interprétée par le cerveau via des signaux électriques. La lumière nous permet de percevoir notre environnement, notre cadre de vie, mais possède aussi une influence très forte au niveau sensoriel via son intensité ou sa couleur. Elle peut conditionner le fait qu’on se sente bien, ou pas en sécurité dans un endroit. Comprendre comment elle fonctionne pour mieux l’appréhender est donc un enjeu majeur pour l’amélioration de la qualité de vie dans un bâtiment. A quoi sert la lumière et quel rôle joue-t-elle dans la création d’ambiance dans une pièce et le bien-être des usagers ? Comment peut-on améliorer la qualité de lumière dans un espace bâti ? J’apporterai quelques éléments de réponses à ces interrogations tout en proposant 6 conseils pour créer un cadre lumineux agréable et confortable.
1. Préambule
A quoi sert la lumière ? Cette question pourrait paraître ridicule, si elle avait été posée quatre décennies plus tôt. Elle sert à voir semble être une réponse évidente. En effet, l’être humain ne bâtit-il pas son environnement et ne se déplace-t-il pas convenablement sous la lumière ? Elle a d’ailleurs été nécessaire à la survie de l’humanité : avec la découverte du feu et sa domestication, l’homme préhistorique pouvait voir la nuit et faire face aux dangers potentiels. Par ailleurs, l’évolution a permis la création de divers sources lumineuses comme la chandelle ou la lampe à incandescence, témoignant du besoin de conquête visuelle de l’homme sur son territoire. Contrairement à cette première approche très fonctionnaliste, je vous propose une assertion plus subtile et poétique : La lumière aide à percevoir l’espace et le temps. Cette deuxième approche place le rôle de la lumière dans un ensemble plus grand d’éléments à vocation sensorielle. En effet, hormis la luminosité d’un milieu, le bruit ambiant, l’odeur ressentie, la température intérieure, le volume de la pièce et les sensations au contact des matériaux de construction sont autant d’éléments qui influenceront le ressenti dans un espace bâti. En même temps qu’elle relativise la fonction lumineuse, cette approche l’élargit à la notion de temps. Dans un bâtiment, nous aimons estimer le temps qui passe par un simple coup d’œil à la fenêtre ou sur les espaces éclairés. L’intensité lumineuse ainsi que les différentes variations et degrés de coloration suffisent pour savoir l’heure qu’il est, le temps qu’il fait. Un bon niveau lumineux permet au corps humain de se synchroniser avec l’évolution de la journée – entre 2 500 lux et 10 000 lux – et lutter contre le décalage horaire, tout en diminuant les risques de dépression saisonnière, ou encore d’assoupissement pour les personnes âgées (Narboni, 2006) (Association Française de l’Eclairage, 2020). La lumière joue un rôle fonctionnel pour nous orienter dans l’espace, un rôle régulateur pour la biologie humaine, et dans certains cas, un rôle curatif.
2. Eclairages et ambiances lumineuses
Selon (Narboni, 2006), une ambiance lumineuse est le produit d’une interaction entre une ou plusieurs lumières, l’espace et l’individu, capable de modifier la perception du lieu. Créer une ambiance lumineuse dans une pièce, c’est donc d’abord et avant tout permettre son éclairage. Mais quel éclairage ? On distingue l’éclairage fonctionnel et l’éclairage d’ambiance. Quand on parle d’éclairage fonctionnel, on se réfère à l’éclairage qui permet le respect des niveaux de luminosité nécessaires pour une tâche particulière. On parlera alors d’éclairage d’un plan de travail, ou d’éclairage de sécurité par exemple. Mais négliger ainsi la dimension sensorielle de ce type d’éclairage est une erreur car dans tous les cas, il y a perception de l’usager en fonction de son âge, de sa vision, de ses émotions ou encore de sa culture. On peut donc considérer qu’un éclairage fonctionnel est un éclairage d’ambiance par défaut. Mais l’éclairage d’ambiance à proprement parler, loin de satisfaire aux exigences minimales de niveau moyen d’éclairement, vise surtout à générer une perception, un ressenti dans l’endroit où il est appliqué. Il prendra alors diverses formes : diffus, direct, ou indirect. Il pourra avoir des couleurs diverses, pas nécessairement directement en lien avec l’activité menée dans la pièce. Il peut aussi être graduable et modulable en coloration et en intensité afin de créer l’atmosphère souhaitée.
3. Conseils
Il est en réalité impossible d’édicter des règles universelles pour créer l’éclairage idéal d’un lieu en raison des différences de perception qui varient selon les régions du globe et les individus. Cependant, certains principes sont nécessaires si l’on veut favoriser un confort visuel optimal et générer une bonne ambiance lumineuse. Loin d’être exhaustives, les actions ci-après apportent quelques orientations utiles.
a. Respecter les niveaux moyens d’éclairement
Selon le type de local, un bon niveau d’éclairement est nécessaire pour réaliser l’activité à laquelle il est dédié. Pour les projets d’éclairage intérieur des locaux de travail par exemple, la norme NF EN 12464-1 fixe des valeurs minimales à respecter. En voici quelques-unes :
- 300 lux pour les restaurants, hôtels, réceptions, caisses et conciergeries ;
- 300 lux pour les magasins et zones de ventes ;
- 500 lux pour les cuisines ;
- 500 lux pour les bâtiments scolaires ;
- 100 lux pour les zones de circulation et couloirs ;
- 750 lux pour les salles de dessin industriel
Ces chiffres sont assortis d’autres valeurs telles que la limite d’éblouissement d’inconfort ou URG maximal (22 pour la cuisine par exemple) et l’indice de rendu des couleurs minimal (80 pour l’éclairages de bureaux par exemple).
b. Empêcher l’éblouissement
L’éblouissement peut avoir diverses origines : absence de protection sur les façades à fort rayonnement solaire, surfaces réfléchissantes, mauvais aménagement des mobiliers ou mauvais emplacement des luminaires, etc. La baisse de concentration et la fatigue qui en résultent, empêchent la productivité et génèrent un sentiment désagréable chez l’usager. Des solutions évidentes existent comme les occultations (stores, volets et rideaux), et l’utilisation de surfaces mates. Mais en ce qui concerne les luminaires, il est important de penser à la mise en œuvre d’appareils à luminances limitées, de favoriser l’éclairage indirect, et de penser le plan d’éclairage d’une pièce en fonction de l’aménagement des mobiliers (Zumtobel Lighting GmbH, 2017).
c. Mettre en valeur le volume et la structure par l’éclairage et le choix des luminaires
Se sentir bien et en sécurité dans un lieu nécessite aussi une bonne vision de l’organisation et de la structuration de l’espace. La lumière a le pouvoir de générer ces effets, et mieux encore de magnifier un volume – je n’évoque pas ici le cas particulier des endroits ou l’obscurité joue un rôle important pour le rapprochement comme dans les bars la nuit, ou dans les caves pour la conservation du vin. Plusieurs astuces sont possibles :
- Dessiner les contours des parois à l’aide de tubes haute tension à cathode froide (néon) par exemple, en éclairage direct ou indirect ;
- Souligner la texture d’une paroi verticale opaque ou la présence d’un élément structurant de l’espace (murs, piliers, charpente) par un éclairage frisant en plongée ou en contre-plongée ;
- Rehausser l’image d’un plan horizontal isolé par un ou des luminaires suspendus ou une lampe sur pied ;
Il faut ajouter à cela le choix les luminaires qui doivent s’intégrer harmonieusement au décor et ajouter une esthétique au lieu. Dans les grands hôtels, les halls d’accueil sont souvent équipés de lustres divers, pouvant varier d’un style baroque à un style contemporain, destinés à rendre inoubliables l’attente et la visite des clients.
d. Rendre l’éclairage modulable et graduable
Un local peut nécessiter diverses ambiances selon le moment de la journée et les activités qui y sont pratiquées (attente, renseignements et jeux dans un grand hall par exemple). Le découpage par zones d’éclairage localisées permet une meilleure adaptation visuelle à chacune des activités proposées et favorise l’orientation des visiteurs. Chaque zone peut ainsi bénéficier d’un éclairage avec une couleur particulière et une intensité spécifique qui contribuent à structurer l’espace. Il existe également des luminaires dimmables qui peuvent varier en intensité de flux lumineux grâce à un bouton poussoir ou un détecteur de luminosité, et qui représentent un moyen efficace pour assurer le niveau d’éclairage suffisant aux besoins changeants de la journée (Gradation, 2013). Il s’agit véritablement ici de rendre l’éclairage dynamique. L’utilisation coordonnée de plusieurs appareils peut également être utile :
- Lampes encastrées orientables ;
- Projecteurs orientables sur rails ou lampes sur pied pour des activités de précisions ;
- Des lustres ou des lampes suspendus pour mettre en valeur des espaces ouverts et chaleureux ou des plans horizontaux ;
- Des fibres optiques pour mettre en valeur un plafond, délimiter un espace ou agrémenter une pièce.
e. Tenir compte et maximiser l’apport de la lumière naturelle
La nécessité de réduire la consommation énergétique dans le bâtiment fait de la lumière naturelle une ressource primordiale. Par ailleurs, son apport dans le bâtiment procure un bien-être à la foi physique et psychologique et permet aux usagers d’avoir une conscience du déroulement de la journée. A contrario, travailler dans un local exclusivement éclairé par la lumière artificielle peut devenir stressant et avoir à la longue un effet contre-productif. Savoir combiner lumière naturelle et éclairage artificiel nécessite une réflexion en amont du projet de construction sur les ambiances souhaitées, les niveaux d’éclairage exigés et les dispositifs techniques à mettre en œuvre. Plusieurs solutions existent. Il est possible de réaliser un éclairage par section, avec des commandes différenciées pour apporter les appoints de lumière artificielle dans les zones situées dans la pénombre. Des systèmes automatisés ou non, utilisant des lampes gradables sont également un moyen de satisfaire aux besoins diurne et nocturne dans un même local. Les occultations permettent un meilleur contrôle du flux lumineux entrant dans la pièce tout au long de la journée.
f. Rompre avec la monotonie par les couleurs
Quand on planifie l’éclairage d’une construction, il faut aussi constamment penser ambiance lumineuse. Un éclairage à vocation exclusivement fonctionnelle peut très vite rendre le lieu terne et lassant. Certains types d’espaces sont particulièrement sujet à ce phénomène : les couloirs, les halls d’attente, les salles de classe, les bureaux, etc. Pour cela, en plus de l’éclairage fonctionnel, un ou plusieurs éclairages d’ambiance peuvent être utilisés à diverses fins : éveiller les sens des usagers, marquer des espaces de transition, ou mettre en valeur des surfaces ou textures particulières. Ils seront colorés avec un bon IRC (Indice de Rendu des Couleurs) et en général d’intensité modérée pour ne pas générer de contrastes importants avec la lumière du jour ou l’éclairage fonctionnel. Ils peuvent être réalisés grâce à des appareils suspendus, des surfaces lumineuses, des appareils lèche-murs, des lignes lumineuses colorées, etc. A la manière des vitraux des cathédrales, les vitrages colorés, sont particulièrement efficaces à la création d’ambiance grâce au filtrage de la lumière et sa coloration dans l’espace.
En conclusion, l’être humain a besoin de la lumière pour voir, se déplacer et appréhender son espace de vie. Mais cette lumière a le pouvoir d’influencer positivement ou négativement sa perception de son environnement, ainsi que son bien-être. C’est pour cela que dans tout projet de construction, il faut s’intéresser en amont aux méthodes et moyens pour créer les niveaux d’éclairage nécessaires aux différentes activités en évitant tout éblouissement, et mettre en valeur l’architecture du bâtiment par la lumière. Il faut, par ailleurs, faire dialoguer l’éclairage artificiel avec l’éclairage naturel qui joue un rôle important dans le bien-être physique et psychologique de l’usager et qui varie tout au long de la journée. Enfin, un éclairage dynamique grâce à la variabilité des couleurs, des effets et intensités lumineux, rend le cadre moins neutre et plus intéressant à vivre.
Références
Association Française de l’Eclairage. (2020). ÉCLAIRAGE DANS LES COLLECTIVITÉS – Fiches pratiques. 56 p.
Gradation : Théorie. (2013, juin 11). Le guide de l’éclairage. https://leclairage.fr/th-gradation/
Narboni, R. (2006). Lumière et ambiances : Concevoir des éclairages pour l’architecture et la ville : [analyses d’ambiances lumineuses moyens techniques problématiques de conception démarches environnementales exemples de réalisations. Le Moniteur.
Zumtobel Lighting GmbH. (2017). Manuel pratique de l’éclairage. 245 P.
Images
Image mise en avant – Image par Free-Photos de Pixabay
Niveau moyen d’éclairage nécessaire à la lecture, généré par diverses sources lumineuses à la bibliothèque publique de Boston – Image par Monica Volpin de Pixabay
Eblouissement désagréable – Image par Free-Photos de Pixabay
Espace structuré par des luminaires évoquant la section des poteaux – Image par StockSnap de Pixabay
Pièce baignant dans la lumière du jour – Image par Arek Socha de Pixabay
Cuisine alliant éclairage fonctionnel avec éclairage d’ambiance – Image par kannapoonan de Pixabay
