novembre 10, 2025

Raconte-moi les Tulou : Comprendre l’architecture des Tulou du Fujian

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En 2020, le film Mulan, blockbuster réalisé par la compagnie américaine Disney fait son apparition sur nos écrans. On y voit la maison de l’héroïne, sorte de forteresse circulaire, gigantesque et imposante, le Tulou. 35 ans plus tôt, en pleine guerre froide, alarmé par la présence éventuelle d’équipements nucléaires (il s’agissait des Tulou) dans la province du Fujian, l’organisme de renseignement et d’espionnage américain CIA déploie des agents sur le terrain avant de s’apercevoir qu’il ne s’agissait que de bâtiments locaux avec une architecture atypique. Cette fascination qu’exercent les Tulou n’est pas fortuite. Derrière, ces mastodontes se cachent des techniques et savoir-faire ancestraux qui ont valu à quelques dizaines d’entre eux d’être inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008. Cet article vise à faire connaître un peu plus ce trésor de l’Est, en mettant l’accent sur ses créateurs, son architecture, ses principes constructifs et son devenir.

1. Les Hakkas, inventeurs des Tulou

Etymologiquement, Tulou, en mandarin, se compose de qui signifie terre et Lóu qui désigne maison. Littéralement un Tulou est donc une maison construite avec de la terre. Mais les Tulou du Fujian tels que nous les connaissons ont été inventés et perpétués par le peuple Hakka entre le XIIIe et le XXe siècle (UNESCO Centre du patrimoine, s. d.). Ce sous-groupe ethnique sûrement descendant du peuple Han, s’est formé par des vagues migratoires successives dans le sud de la chine pour trois raisons principales : Tout d’abord, fuir la famine et les violences perpétrées par l’ethnie Jin (265-420 ap. JC) ; ensuite échapper aux troubles de fin de règne des Tang (618-907 ap. JC) ; enfin reculer face à la pression des Jurchen fuyant l’invasion mongole (entre la fin du XIIe et le début du XIIe siècle). Formant ainsi les Hakkas (signifiant familles invitées) au milieu des peuples autochtones, ils s’isolèrent en zone aride montagneuses et y développèrent leurs habitations (Hong, 2014).

2. Architecture et principes constructifs

Il existe un peu moins de 4 000 Tulou dans la province du Fujian. Bien que la forme circulaire soit la plus connue, la plupart des édifices sont carrés. Il existe aussi des formes particulières comme le rectangle ou l’ovale du Qiyunlou[1] par exemple. Ce sont des sortes de forteresses, closes sur elles-mêmes, pouvant comporter 2 à 5 étages, peuvent largement dépasser les 10 m en hauteur et 70 m en largeur, et ne laissent rien transparaître de l’extérieur. Cependant, des balcons et des ouvertures donnent sur une cour intérieure à ciel ouvert. C’est le lieu où la vie se déploie à l’intérieur de ces petites villes. On peut y trouver un temple – pouvant servir de lieu d’instruction -, un puits, un poulailler ou une porcherie. Ils peuvent également comporter des bâtiments concentriques qui sont des annexes des pièces principales. Chaque logement est organisé en tranche de structure pour une famille unique, le rez-de-chaussée étant réservé à la cuisine et aux activités communes, le premier étage aux stockages des réserves, et les derniers niveaux accueillant les chambres (Simay, 2019). Ce qui rend fonctionnel ces forteresses, c’est une bonne organisation du déplacement, notamment la symbiose entre circulations verticale et horizontale. Les coursives permettent de se déplacer latéralement, pour aller d’un logement à un autre. Les escaliers permettent le déplacement en hauteur. Dans certains Tulou, chaque logement possède son escalier interne. Dans d’autres, des escaliers extérieurs, au nombre de 4 en général, donnent directement sur les coursives.

Le mur d’enceinte est réalisé avec la technique de la terre compactée que l’on appelle pisé. Un empilement de roche de diverses tailles dans une tranchée suffit pour réaliser la fondation. Le mur repose sur un sous-bassement en moellon et est composé de terre, de sable et d’argile, ce que les locaux appellent le Sanhetu, littéralement la triple terre (Hong, 2014). Ces murs très épais à la base (ils peuvent atteindre 2 m d’épaisseur) s’amincissent au fil des étages. Ils sont protégés des intempéries grâce à un badigeon d’argile et de chaux. A la massivité de la terre en extérieur répond la légèreté du bois en intérieur qui habille complètement la façade donnant sur la cour à ciel ouvert. Ce bois provenant des pins sert également à faire les planchers, les cloisons, les escaliers et la charpente de toiture qui repose sur le mur d’enceinte via une rangée de pierres. La couverture à deux versants est composée de tuiles en terre cuite. L’entrée des Tulou est reconnaissable grâce à la bande de plâtre encadrant la porte, où sont inscrits le nom des propriétaires originels et la période de construction (Hong, Ibid.).

Coupe de principe sur un Tulou - Image by Ulrich YALO

3. Symbolisme et perspectives

A l’origine les Tulou étaient destinés à protéger des pilleurs dans la région du Fujian. Parallèlement, son architecture témoigne d’autres vertus. Le Tulou est un bon exemple de construction sociale, favorisant l’égalité et la vie en communauté. En effet chaque famille dispose d’une tranche de l’édifice avec une surface au sol équivalente pour chaque logement. Chaque catégorie de pièce a la même surface pour tout le monde.

De confessions confucianiste et taoïste, les Hakkas ont érigé ces forteresses en suivant les préceptes du Fengshui. Cette discipline millénaire, qui est plus une philosophie qu’une science donnent les indications sur l’orientation et l’aménagement des pièces, l’emplacement géographique de l’édifice lui-même, dans le but d’harmoniser l’énergie environnementale du lieu et favoriser le bien-être et la prospérité des habitants (« Feng shui », 2021). Ces préceptes vont plus loin en recommandant des périodes idéales pour les différents éléments de construction (réalisation de toiture, fabrication du pisé, réalisation des enduits, etc.), tout en ponctuant celle-ci de rituels réguliers.

Contrairement à l’aspect fermé, dur et monotone de l’extérieur, l’intérieur du Tulou est ouvert, souple, coloré, chaleureux. L’épais mur d’enceinte, grâce à sa forte inertie, emmagasine la chaleur de l’extérieur et permet d’avoir une température plus basse, plus confortable à l’intérieur en période chaude. Loin d’être un signe d’enfermement, la cour intérieure permet de se sentir relié au monde extérieur. « Physiquement, sensoriellement, c’est une expérience très forte : on s’imagine entrer dans une boîte noire, une prison, mais une fois à l’intérieur, on se sent totalement connecté aux éléments : le vent, la pluie, la lumière, le soleil, les nuages » (Simay, 2019).

Aujourd’hui, les Tulou ne sont qu’à moitié habités, car la jeune génération migre de plus en plus vers les grandes villes. La ferveur communautaire autrefois caractéristique du mode d’habiter de ces édifices s’estompe au fil des années. On pourrait aussi penser que leur entretien soit plus difficile vue la rareté de bras valides. Par ailleurs le tourisme florissant autour des Tulou, quoique bénéfique financièrement pour la population locale, contribue à la dégradation physique de leur cadre de vie. Il appartient donc aux autorités locales de mettre en place et veiller à l’application d’un tourisme alternatif et d’une politique de revalorisation afin de sauvegarder et pérenniser ces chefs-d’œuvre centenaires.

En conclusion, les Tulou, construits par les Hakkas dans la province du Fujian, présentent une architecture singulière, riche d’enseignements aussi bien sur le plan architectural que social. Construits à partir de ressources locales, ils avaient de prime abord un rôle défensif. Leur organisation spatiale et structurelle a permis une mode de vie égalitaire et une connexion très forte avec la nature. Bien que de plus en plus désertés par la jeune génération, ils continuent de susciter l’admiration chez les visiteurs et les amoureux d’une architecture atypique.

Références

Feng shui. (2021). In Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Feng_shui&oldid=183723984

Hong, D. (2014). Les tulou du Fujian : Une architecture vernaculaire du Sud de la Chine. Mirabilia mundi.

Simay, P. (2019). Habiter le monde. Actes Sud.

UNESCO Centre du patrimoine. (s. d.). Tulou du Fujian. UNESCO Centre du patrimoine mondial. Consulté 17 juin 2021, à l’adresse https://whc.unesco.org/fr/list/1113/

[1] Construit à la fin du XVIe siècle, c’est le tout premier Tulou de forme arrondie qui ait été réalisé. Il mesure 7,6 m en hauteur, 62 m et 47 m sur ses axes (Hong, 2014).

Images

Amas de Tulou [Image mise en avant] – Image by Peter Dunne

Tulou circulaire – Image by INABA Tomoaki

Intérieur d’un Tulou – Image by sunoochi

Coupe de principe sur un Tulou – Image by Ulrich YALO

Intérieur animé d’un Tulou carré – Image by Sunoochi

Tulou carré – Image by Peter Dunne


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